Une vie de manchote

10 janvier 2020Marie HERBERT

Le temps passe-t-il plus vite à Paris, qu’à Tahiti ? Ou qu’ici en Patagonie ? Nous questionnait un ami…

« Même en volant
Je n’aurai pas le temps
Pas le temps
De visiter
Toute l’immensité
D’un si grand univers
Même en cent ans
Je n’aurai pas le temps
De tout faire »

Il n’a dans nos bouches de cesse de filer ou de se perdre.

Le temps.

Ce dernier mois, nous avons doucement changé notre rapport à lui. A l’exception des ferrys (que nous veillons à ne pas louper), nous attachons moins d’importance à l’heure qu’il est. Nous sommes en vacances direz-vous. Soit. Mais il plane ici une tranquillité qui ne demande qu’à vous gagner. A moins que ça ne soit ce sentiment de liberté, qui donne au temps cette intensité. Les contraintes et objectifs chassés, reste l’instant présent.

La semaine dernière nous avons été stoppé par des travaux sur la route. Je suis descendue me renseigner, la carretera (unique piste carrossable) ne « ré-ouvrira qu’une fois les ouvriers partis du chantier … dans plus de 2h30 ».

Des dizaines de locaux, chauffeurs routiers et touristes sont bloqués. Nous nous étonnons du calme environnant. Chacun vaque à son occupation : échecs, maté, lecture ou comparaison de moto … En fin de journée nous repartirons. Simplement. Sans agitation ni râle.

La luminosité est différente aussi. Les journées durent 16 heures, nous donnant le sentiment d’un temps qui s’étire pour nous laisser savourer.

Nous débutons des randonnées à 12h, mais qu’importe ! A notre retour à 19 nous aurons encore plusieurs belles heures de lumière. La nuit arrive tard et repart si vite. Nous dormons bien plus que le soleil !

La météo guide davantage nos journées.

Les plans ont changé d’ailleurs.

La pluie annoncée nous a poussé plus au sud, plus vite. Depuis Puerto Natales, nous sommes descendus vers Punta Arenas. (Nous ferons Torres del Paine plus tard)


A cette époque, les manchots de Magellan sont installés pour se reproduire sur l’Isla Magdalena (au large du détroit de Magellan). Ils seraient près de 150000 couples, une des plus grosses colonies.
Nous prenons un bateau, au milieu de nombreux touristes et débarquons d’un pas hésitant sur l’île. « Doit-on, pour satisfaire notre curiosité aller déranger ces pauvres bêtes ? » (Nous nous interrogerons beaucoup sur cette activité)
Le sentier touristique est bordé de part et d’autre d’une cordelette. Des gardiens veillent à ce que nous ne sortions pas du chemin, et ne stressions pas les animaux. Le temps sur l’Ile est limité à 1heure. Nous sommes en partie soulagés (déculpabilisés ?), de constater qu’ils veillent au grain.

Nous avançons au milieu des manchots. Ils ne sont pas farouches ! Ils approchent de nous, coupent le chemin aux pieds des touristes… Les nouveaux nés, presque aussi gros que leurs parents (ils se distinguent par leur duvet gris) sont très curieux. Ils sortent la tête du terrier sur notre passage et ne semblent pas perdre une miette du défilé.
A bien y réfléchir, cette armada de petits et grands humains aux Gore-Tex colorés et bonnets divers qui se pressent et s’exclament … quelle drôle de scène ! Finalement, n’est-ce pas nous l’attraction ?

D’ici le mois de mars, les poussins (eh oui, les bébés manchots sont des poussins) auront suffisamment grandi pour rejoindre avec leurs aînés le Brésil et les Iles Malouines.

Chaque année, ils reviendront sur l’île sur laquelle ils sont nés pour la parade et la reproduction. Et ce pendant 30 ans en moyenne, leur espérance de vie.

Cette année j’aurai 30ans. Une vie de manchote !
Un tout à l’échelle de ces petites bêtes, un tiers pour moi ?

(Et pourquoi pas ?! …)